Par une décision du 20 septembre 2022, le « droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », protégé par la Charte de l’environnement, est érigé par le Conseil d’Etat en « Liberté fondamentale », permettant de recourir au référé liberté.
Aux termes de l’article 1er de la Charte de l’environnement « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.»
Ce droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé était d’ores et déjà partiellement protégé par principes ou objectifs de valeur constitutionnelle, tirés de la Charte de l’environnement. Tel était notamment le cas de la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains[2].
Malgré la timidité avec laquelle les juridictions faisaient en pratique entrer ces principes dans le droit positif, force est de constater que le juge administratif poursuit sa mue sur ces sujets en y consacrant, petit à petit, la place et les outils qu’ils méritent.
C’est ainsi que par une ordonnance n° 451129 du 20 septembre 2022, le Conseil d’Etat a érigé le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé en liberté fondamentale au sens du référé liberté prévu par l’article L. 521-2 du code de justice administrative (CJA).
La lente évolution des outils juridictionnels de protection de l’environnement
Cette ordonnance fait en réalité écho aux conclusions de la « mission flash » des députées Moutchou et Untermaier.
En effet, parmi les propositions formulées dans la communication publiée le 10 mars 2021, figurait notamment celle « d’intégrer formellement les droits prévus par la Charte de l’environnement dans le champ du référé liberté ».
Pourtant, le Gouvernement comme le Parlement s’étaient montrés réticents face à cette proposition, à tel point qu’à l’issue de l’examen du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique par l’Assemblée Nationale, elle n’avait pas été retenue dans la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
Fin 2020, c’est l’arsenal pénal qui avait été privilégié par le législateur. La loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, visait en effet :
d’une part, le renforcement des mesures de répression pénale, notamment via la création du délit « d’écocide » et des infractions nouvellement réprimées par les articles L.231-1 à L.231-3 du code de l‘environnement ;
d’autre part, l’extension limitée du « référé pénal spécial » prévu par l’article L. 216-13 du code de l’environnement et permettant au juge des libertés et de la détention (JLD) de prononcer des mesures d’urgence en cas de violation de la loi pénale.
Aucune évolution n’était toutefois plus à l’ordre du jour du législateur concernant une hypothétique évolution du référé liberté.
C’est dans ce contexte que le Juge du Palais-Royal a cette fois pris les devants en adoptant cette évolution bienvenue, en commençant par l’article 1er de la Charte de l’environnement et le « droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».
La consécration de l’article 1er de la Charte de l’environnement en tant que Liberté fondamentale
Dans son ordonnance du 20 septembre 2022, le Conseil d’Etat pose le principe de la manière suivante :
« 5. En outre, le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement, présente le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Toute personne justifiant, au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu’elle entend défendre, qu’il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l’action ou de la carence de l’autorité publique, peut saisir le juge des référés sur le fondement de cet article. Il lui appartient alors de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai prévu par ces dispositions, d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. Dans tous les cas, l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l’article L.521-2, les mesures qu’il peut ordonner doivent s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises. »
Pour rappel, l’article L. 521-2 du CJA permet au juge des référés, saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, d’ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale.
Il convient pour cela de démontrer :
une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale, y compris en cas de carence de l’action de l’autorité publique;
que des mesures de sauvegarde nécessaire puissent être utilement prises dans un très bref délai.
Il convient toutefois de noter que cette décision n’est pas totalement inédite pour les juridictions administratives, certains juges ayant déjà pris l’initiative de motiver leurs décisions par les dispositions de l’article 1er de la Charte de l’environnement, en prenant toutefois la précaution de leur associer le droit au respect de la vie, protégé notamment par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme de l’homme et des libertés fondamentales (v. en ce sens TA Nice, ordonnance du 7 juillet 2017, Commune de Gilette, n° 1702655)
Le référé liberté pour le droit à l’environnement : en pratique
En synthèse, le Conseil d’Etat résume l’apport de cette décision comme suit :
1.     Pour prévenir ou faire cesser une atteinte à l’environnement dont il n’est pas sérieusement contestable qu’elle trouve sa cause dans l’action ou la carence de l’autorité publique, le juge des référés peut désormais, en cas d’urgence, être saisi:
soit sur le fondement de l’article L. 521-1 du CJA ou, le cas échéant, sans qu’aucune condition d’urgence ne soit requise, sur le fondement des articles L. 122-2 et L. 123-16 du code de l’environnement, afin qu’il ordonne la suspension de la décision administrative, positive ou négative, à l’origine de cette atteinte,
soit sur le fondement de l’article L. 521-3 du CJA, afin qu’il enjoigne à l’autorité publique, sans faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative, de prendre des mesures conservatoires destinées à faire échec ou à mettre un terme à cette atteinte.
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2.     Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement, présente le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du CJA.
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3.     Toute personne justifiant, au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu’elle entend défendre, qu’il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l’action ou de la carence de l’autorité publique peut saisir le juge des référés sur le fondement de cet article.
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4.     Il lui appartient alors de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai prévu par ces dispositions, d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article.
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5.     Dans tous les cas, l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-2, les mesures qu’il peut ordonner doivent s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises.
Si le législateur avait préféré opter pour le renforcement de la répression pénale, le Conseil d’Etat fait ici le choix de participer au développement d’outils contentieux permettant, de manière sans doute plus pragmatique et plus efficace, de renforcer les contraintes pesant sur l’administration.
La première pierre est posée via la consécration du droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé en Liberté fondamentale.
[1] CE, ord., 20 septembre 2022, n° 451129
[2] C. const., Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020 ; Le Conseil constitutionnel avait également pu considérer que la préservation de l’environnement devait être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation et que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne devaient pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins, v. en ce sens C. const., Décision n° 2022-843 DC du 12 août 2022
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