Cette décision, rendue en matière de franchise et relative à des pratiques restrictives de concurrence, est très riche en enseignements pour les réseaux.
Rappel des faits
De 2013 à 2016, la DGCCRF a enquêté sur les relations entre franchiseurs et franchisés dans le réseau de restaurants Pizza Sprint.
En 2016, le réseau Pizza Sprint est cédé à Domino’s Pizza via une cession de contrôle des titres détenus sur le franchiseur et la centrale fournisseur.
En 2017, le Ministre de l’Economie et des Finances a assigné tant le cessionnaire que le cédant, ainsi que le franchiseur et la centrale, en violation de l’ancien article L.442-6, I, 2° du Code de commerce.
Par un arrêt en date du 5 janvier 2022, la Cour d’appel de Paris a :
déclaré recevable l’action du ministre ;
déclaré nulles la clause de résiliation, la clause pénale et la clause d’intuitu personae ;
condamné in solidum l’ensemble des sociétés à une amende civile de 500.000 euros ;
ordonné la publication d’un extrait de la décision, aux frais de ces dernières.
Par un arrêt en date du 28 février 2024, la Cour de cassation vient de confirmer dans sa globalité l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris, et ainsi la condamnation in solidum des sociétés à la tête du réseau Pizza Sprint au paiement d’une amende civile de 500.000 euros.
Principaux apports de l’arrêt (dans l’ordre suivi par la Cour de cassation)
1er apport - Point de départ de l’action du Ministre de l’Économie et des Finances
En matière de pratiques restrictives de concurrence, la prescription de l’action du Ministre, qui ne fait pas l’objet de règles spéciales, a classiquement pour point de départ le jour où ce dernier a connu ou aurait dû connaître les faits qui caractérisent une telle pratique.
La Cour de cassation considère que ce point de départ est, non pas la date de conclusion du contrat litigieux, mais la date du premier acte d’enquête de l’administration.
La période pendant laquelle le Ministre, garant de l’ordre public économique, peut agir aux fins de sanctionner une pratique restrictive de concurrence est donc considérablement allongée, et en pratique bien plus importante que l’action dont bénéficient les franchisés eux-mêmes, pourtant principaux concernés par les pratiques. |
2ème apport - Impact de la conclusion d’une transaction sur l’action du Ministre
La transaction en matière de pratiques restrictives de concurrence produit effet dans les seuls rapports privés entre franchiseur et franchisé.
Ainsi, la conclusion d’une transaction entre des partenaires économiques n’a pas pour effet de priver le Ministre des pouvoirs qu’il tient de l’ancien article L.442-6, III du Code de commerce, devenu l’article L.442-4 du Code de commerce.
La conclusion d’une transaction reste néanmoins pertinente ; dans la mesure où elle met fin au litige entre les parties et évite ainsi tout opportunisme à la suite d’une action du ministre. |
3ème apport – Caractérisation de la soumission à un déséquilibre significatif
La Cour de cassation rappelle que la condition tenant à la soumission ou à la tentative de soumission implique la démonstration de l’absence de négociation effective ou l’usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l’acceptation.
La Cour de cassation approuve ainsi la Cour d’appel qui ayant procédé à une analyse globale, a considéré que l’absence de négociation effective était établie dans la mesure où :
le réseau Pizza Sprint bénéficiait d’une notoriété certaine dans la région,
le franchiseur bénéficiait d’une position prépondérante sur les franchisés
et un contrat-type toujours identique était imposé aux franchisés, lesquels ne disposaient d’aucune marge de négociation.
La condition de la soumission à un déséquilibre significatif est donc ici classiquement appréhendée via la notoriété et la position privilégiée de l’une des parties par rapport à l’autre partie ainsi que par l’absence de négociation du contrat.
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4ème apport – Nullité d’une clause d’intuitu personae trop imprécise
Une clause d’intuitu personae trop imprécise, stipulée au seul bénéfice du franchiseur, peut être constitutive d’un déséquilibre significatif. Une telle clause permet en effet au franchiseur, du fait de cette imprécision, de résilier de manière anticipée le contrat de manière purement discrétionnaire.
Ainsi, le doute laissé par l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 5 janvier 2022 qui semblait condamner par principe les clauses ne prévoyant pas une réciprocité de l’intuitu personae dans les contrats de franchise est levé.
L’absence de réciprocité de l’intuitu personae, stipulée au profit du seul franchiseur, ne suffit pas à caractériser l’illicéité de la clause d’intuitu personae.
Il reste donc parfaitement possible de prévoir une clause d’intuitu personae non bilatéralisée, à condition qu’elle soit suffisamment précise et proportionnée.
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5ème apport – Imputabilité des pratiques restrictives de concurrence à la holding cessionnaire
La holding qui, après avoir acquis 100% des titres des sociétés ayant imposé un contrat-type contenant des clauses déséquilibrées aux franchisés, ne cesse pas ces pratiques litigieuses, est réputée y avoir participé.
En conséquence, le repreneur peut être condamné in solidum avec le franchiseur au paiement d’une amende civile.
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6ème apport – Publication systématique de la décision
La loi impose la publication systématique d’une décision reconnaissant l’existence de pratiques restrictives de concurrence, peu important qu’aucune partie ne l’ait sollicitée.
Une partie ne peut donc pas contester une telle publication en arguant qu’aucune des parties ne l’a expressément demandée.
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